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Projet de Loi Besson : un tour de vis supplémentaire

mercredi 5 mai 2010


Eric Besson a présenté en conseil des
ministres fin mars son avant-projet
de modification de la loi CESEDA
(Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers
et Demandeurs d’Asile) qui suit la voie
tracée par les innombrables modifications
qu’a subi cette loi : plus de stigmatisation,
plus de répression, moins de droits pour les
étrangerEs. En voici une analyse rapide.

Rétention / expulsion : procédures

Aujourd’hui, après garde à vue, la rétention
dure 48h, à l’issue desquelles le juge
des libertés et de la détention (JLD - juge
judiciaire)décide ou non de prolonger de
15 jours la période de rétention, afin de
permettre l’exécution d’une expulsion. Ce
passage devant le JLD représente jusqu’ici
un tiers des expulsions annulées (illégalité
de la procédure de contrôle, erreurs dans
les procès verbaux, etc.). A l’issue de ces
17 jours, si l’expulsion n’a pu avoir lieu et
qu’elle est envisageable (délai de délivrance
du laissez-passer consulaire), la période
de rétention peut à nouveau être
prolongée de 15 jours par le JLD. Soit un
total de rétention possible de 32 jours.

L’avant-projet prolonge la première durée
de rétention à 5 jours, à l’issue de laquelle le
JLD saisi disposerait de 24 heures pour statuer
sur la légalité de l’arrestation et du placement
en rétention. Si la personne n’a pas
déjà été expulsée ! Garde à vue comprise, il
pourrait donc se passer une semaine sans
que la personne enfermée ne voie un juge.
Le champ des illégalités (très nombreuses)
pouvant mener à la libération sera restreint,
sans définition plus précise : une irrégularité
de procédure ne peut mener à une libération
"que si elle a eu pour effet de porter atteinte
aux droits de l’étranger". Cette prolongation
de rétention serait de 20 jours et non plus de
15. Au bout de 25 jours de rétention et si l’expulsion
n’a pu avoir lieu, le JLD pourrait à
nouveau la prolonger de 20 jours, portant la
durée totale de rétention à 45 jours.

Rallonger ainsi de moitié la période d’emprisonnement
est présenté par le Ministère
comme devant faciliter des expulsions compliquées
par le délai nécessaire pour obtenir
un laissez-passer consulaire par le pays
d’origine (ou d’accueil du misérable indésirable).
Or actuellement, si l’on en croit la CIMADE,
89% des expulsions qui aboutissent
sont réalisées dans les 17 premiers jours de
rétention. La prolongation de 15 jours
n’était donc pas nécessaire auparavant,
pourquoi le deviendrait-elle maintenant ? La
raison en est simple : il faut punir les étrangerEs
en situation irrégulière. Deux semaines
de taule en plus, ça les fera réfléchir,
et on peut penser qu’à l’avenir ils ou elles
resteront planquéEs, bien tranquilles. Le recours
à des périodes d’assignation à résidence
après la rétention, si l’expulsion n’a
pas pu avoir lieu, ne fait que confirmer cette
volonté de punir et de faire peur, de même que
la possibilité pour le préfet de décréter une interdiction
de retour sur le territoire français
pour une durée pouvant atteindre 5 ans.

Une fois en rétention, une personne disposerait
comme actuellement d’un délai de
48h pour déposer un recours visant à annuler
les décisions administratives toujours
plus nombreuses qui la touchent (c’est-à-dire
contester : l’interdiction de séjour,
l’obligation de quitter le territoire – OQTF
et la décision d’expulsion - APRF, l’absence
de délai pour un retour "volontaire", le
choix du pays de réadmission, l’interdiction
de retour). Autant dire peu de temps face à
un tel amas de décisions, pour quelqu’unE
qui ne maîtrise pas forcément bien le français,
dont l’avocatE a toutes les chances
d’être commisE d’office et l’interprète pas
aussi disponible qu’il ne faudrait.

Signalons en passant que la loi LOPPSI 2,
adoptée en février par l’Assemblée Nationale,
prévoit la mise en place de salles d’audience
par visioconférence au sein des
centres de rétention administrative. Une
salle d’audience avoisine déjà le CRA de Coquelles,
et ses résultats sont désastreux : la
complicité entre flics et juge y est inquiétante
et le contrôle sur ses activités y est
douteux. Le compte rendu d’une audience
récente de Soudanais [1] fait froid dans le dos.
Et rappelons, bien sûr, le fait que la Cimade
n’est plus la seule association intervenant
dans les centres de rétention. Elle partage
le marché avec cinq autres associations qui
n’ont pas encore fait la preuve de leur combativité,
même si le nombre de recours déposés
début 2010 a augmenté par rapport à
l’année dernière. Un effet bénéfique de la
concurrence ? On l’espère...

Nouveau : les Zones d’attente spéciales

La politique de Besson avait été mise en
échec suite à l’évacuation des jungles de Calais
fin septembre, puis au placement en rétention
des 123 Kurdes débarquéEs sur une
plage corse en janvier, par les décisions à
peu près unanimes des JLD. En cause notamment,
les conditions d’arrestation et de
notification de leurs droits pour ces personnes
qui avaient été dispersées dans des
centres de rétention partout en France. La
création, annoncée dès janvier, de zones
d’attente spéciales, doit venir régler le problème
et empêcher le "pointillisme procédural"
dont s’est plaint notre pauvre
ministre.

Elle devrait permettre de retenir les personnes
entrées sur le territoire en dehors
des zones frontalières (postes de douane
frontaliers, gares, ports et aéroports) pour
les expulser au plus vite. C’est à dire le
temps de juger leur demande d’asile "manifestement
infondée" sans leur donner droit
aux conditions normales d’accès à l’asile
(délai permettant de rassembler de la documentation,
autorisation provisoire de séjour
et accueil en Centre d’Accueil pour Demandeurs
d’Asile –CADA– pendant l’instruction
de la demande, délai de recours de 30
jours). Un simple décret du préfet et hop,
expulsion massive sans garantie de droits...
En passant, précisons que nous ne sommes
pas d’arendtEs défenseurEUSes du droit républicain.
Nous constatons simplement que
les tribunaux sont un moyen efficace ces
derniers temps pour tirer d’affaire nombre
de sans-papierEs, en particulier s’ils sont
appuyés par une mobilisation.

Mise au pas "républicaine"

Par ailleurs, cet avant-projet de loi s’assortit,
dans la dynamique du brillant débat sur
l’identité nationale [2], d’un rappel des étrangerEs
à leurs droits et (surtout) devoirs...
Les renouvellements de titres de séjour seront
conditionnés au respect des "valeurs
fondamentales de la République" et à l’assiduité
aux "formations civiques et linguistiques".
Dans le collimateur évidemment le
grand péril de l’islamisation de la France
cher à celles et ceux qui instrumentalisent
la laïcité et les droits des femmes pour masquer
leur racisme : les femmes porteuses du
voile, les imams radicaux... Et peut-être les
militantEs ? L’anarchisme n’est-il pas antirépublicain
 ? L’affaire du mari polygame,
dégoté fin avril, dont le ministre de l’intérieur
Hortefeux nous annonce déjà qu’il
sera déchu de la nationalité française
tombe, comme par hasard, à pic pour justifier
ce type de mesure.

En passant, on peut noter que l’absence
dans l’avant-projet de certaines dispositions
attendues (mariages “gris”, conditions de
naturalisation, réforme du Contrat d’accueil
et d’intégration, etc.) laisse penser qu’un
autre texte doit parallèlement être en cours
de préparation, sans parler du foin qui est
déjà fait autour de la burqa. D’autant que
Besson a également commandé un rapport
sur le "vrai" coût de l’immigration irrégulière
(hébergement, soins médicaux, scolarité,
manque à gagner pour les services
sociaux et fiscaux, placement en rétention,
assistance juridique et sociale), en réplique
à un groupe de parlementaires qui mettent
en place un audit sur l’impact économique
des migrations en France, et aux critiques
sur le coût de la rétention et de l’expulsion.

Ne restons pas inertes face à ces nouvelles
ignominies ! Des collectifs pour dénoncer ce
projet se mettent en place et nous comptons
bien faire savoir, à Lille comme ailleurs, que
nous ne laisserons pas réprimer une population
transformée en bouc émissaire par un
gouvernement qui ne sait plus comment
faire oublier qu’il passe son temps à voler
aux pauvres pour donner aux riches !

Sources :
 projet de loi consolidé
 procédure et rétention
 analyse Cimade